Coupée au montage by Laurette Laurin

Coupée au montage by Laurette Laurin

Auteur:Laurette Laurin
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2014-08-27T00:00:00+00:00


Scène 8

Le Docteur Jivago

Il était donc chasseur, aussi. Je me suis laissé tenter par tant de paradoxes. Beau ? Pas vraiment. Plutôt costaud. Les cheveux grisonnants, très courts. Les yeux, ah ! les yeux, très, très verts. La fin cinquantaine, sûrement. Un charme presque suranné. Et une voix douce, tranquille, basse et profonde. J’ai pensé : une voix de radio FM, ou mieux, une voix de chambre à coucher. Allait-il me lire ses poèmes ?

Nous avions convenu qu’il passerait me prendre vers quinze heures. Je ne devais pas manquer le coucher de soleil sur le lac, avait-il insisté. Nous en étions toujours au vouvoiement. Devais-je enfiler la tenue conventionnelle de la skieuse locale, style gros pull et pantalon noir, ou pouvais-je me permettre ma robe verte en mohair de la couleur de ses yeux ?

J’avais trouvé des fleurs à l’hôtel, des fleurs destinées à une grosse réception de congrès. « Ils ne s’en apercevront pas », m’avait glissé avec complicité le concierge. Des roses jaunes, mes préférées.

Je ne savais pas que ces fleurs étaient aussi les préférées de sa femme. Il me le dirait plus tard, ça aussi.

Il a disposé les roses avec goût et recueillement dans un vase en étain, non sans avoir remarqué, au mohair vert de ma robe, conjugué au vert kaki de mon habit de ski, que le vert devait être ma couleur. Nous n’avons pas fait le tour du propriétaire. La maison apparaissait vaste et chaleureuse malgré les larges fenêtres givrées qui lui servaient de murs. L’impression de vivre au dehors, dans la forêt enneigée qui encerclait le lac de glace endormi au pied de la maison.

Il m’a entraînée dans sa cave à vin. Devant la porte trônait un grand livre à tranche dorée. Il l’a ouvert en me lisant, tel un poème, la description du grand cru que nous allions déguster à la santé du chevreuil qui marinait dans son jus à l’étage. Juste au son de sa voix, je dégustais déjà ce Corton-Charlemagne dont l’année exceptionnelle annonçait la splendeur.

Pendant que nous goûtions avec délectation ce vin divin, la musique de Vivaldi est montée sous le toit cathédrale. L’hiver, ai-je cru reconnaître. Est-ce la flambée du feu brûlant dans l’âtre qui m’a ramenée au feu de l’autre ? Que faisait-il en ce moment ? Pensait-il à moi dans une ultime communion ? Ce que j’aurais donné pour partager ce moment de grâce avec lui !

— Avez-vous faim ?

— Je ne mange pas beaucoup, mais je suis très gourmande.

— Je vous ferai un petit paquet avec les restes.

— Je n’apprécie pas les restes. Sauf s’il s’agit d’un vin aussi fabuleux que celui-ci. Le problème, c’est qu’il n’en reste jamais.

— Je bois à notre rencontre.

— Je bois au tutoiement qui ne saurait tarder.

— Laissons-le venir lentement.

Sur la note plus aiguë, le lac gelé s’est embrasé de rose et d’orangé. Le soleil disparaissait sous la première bouchée du gibier le plus délicat et délicieux que j’aie porté à ma bouche. Tout était si parfait. Si apaisant et savoureux.



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